La lettre d'un "malgré nous"

Plus de soixante ans après la fin du conflit, Il arrive encore que la seconde guerre mondiale se rappelle à nous. Elle le fait à l’occasion d’investigations souterraines quand on extrait accidentellement du sous-sol, armes; munitions ou objets personnels de soldats. Mais, elle le fait aussi au hasard des vieux papiers qui sommeillent encore au fond des greniers.

Ainsi, c’est dans le village de Guewenheim en Alsace que l’on vient de découvrir une correspondance échangée entre Jean et Carmen durant l’année 1944. Il est quasiment certain que Jean était un « malgré nous ». Elle est écrite en un français un peu maladroit, par défi à la censure nazie.

De 1942 à 1945, plus de 100.000 Alsaciens ont été incorporés de force dans la Wehrmacht, l’Alsace étant rattachée de force à l’Allemagne depuis 1940. Certains ont fui vers la Suisse ou la France pour ne pas porter l’uniforme maudit. Mais, en guise de représailles, leurs familles entières étaient alors déportées jusqu’en Prusse orientale, pour travailler dans des conditions très dures.

A l’exception de leur prénom, on ne sait rien de ces deux personnes. On ignore qui ils étaient et comment cette correspondance s’est retrouvée dans ce grenier. Mais en la publiant, c’est un hommage qu’on leur rend car si cette lettre porte en elle le poids de l’Histoire et de sa violence, elle évoque aussi la perspective d’une renaissance vers une paix des nations tant attendue.

Témoignage d’un « Malgré Nous » sur son incorporation dans l’armée allemande.

Témoignage de Lionel Doenhleur, ancien « Malgré Nous », à propos de la seconde guerre mondiale. Il raconte avec beaucoup d’émotion son incorporation forcée dans l’armée allemande.

Les Alsaciens – Les chroniques de France.
Réalisateur Hubert Knapp.
Producteur Jean Claude Bringuier.

Source site de l’INA : http://www.ina.fr/

Chère Carmen,

Heureusement, les combats n’ont pas encore repris dans notre secteur. Personne n’aurait attendu, après les terribles jours de novembre, une si longue période d’accalmie. Il y avait des nuits où les voix des canons se taisaient entièrement et même le crépitement des mitrailleuses n’interrompait que de temps en temps le silence du front nocturne. Mais ces derniers jours, le secteur s’agite de plus en plus puisque le Russe fut déjà plusieurs fois surpris par les nôtres. A ma dernière lettre j’ai adjoint un article emprunté au journal de notre armée que vous aurez lu certainement avec intérêt. Or cette nuit, la même entreprise eut lieu encore une fois, au même endroit et avec les mêmes hommes qui y avaient pris part la première fois. Sans être aperçus de l’adversaire, les nôtres méconnaissables par le blanc tout frais de leurs neuves uniformes qu’ils avaient reçues exprès à ce but, se sont approchés de la tranchée ennemie. Il fallait s’avancer avec précaution, car il était bien possible que le Russe avait renforcé ses postes guetteurs. Mais une fois de plus nous réussîmes à le surprendre complètement. Puisque la veille un vent violent avait rempli tranchées et fossés de neige un grand nombre de Russes étaient occupés à les déblayer et la plupart d’entre eux n’avaient pas des armes. Tout d’un coup les nôtres sautèrent en avant et prirent d’assaut la tranchée. Au moment où leur « Hurra » retentit dans le silence de la nuit, nos mitrailleuses entrèrent en action et quelques instants après les premiers obus de nos 7,5 cm éclatèrent dans les lignes ennemies. Mais ce n’était que le prélude du concert. Maintenant l’artillerie lourde mêlait son son sonore à la voix sèche de nos 7,5 cm et puis, le tir de barrage pointait incessamment avec précision en arrière, à droite et à gauche de la tranchée où les Russes se défendaient désespérément. Impossible de les faire prisonniers. Il fallait tuer près de trente. Le reste put s’enfuir. Ce n’était que trois dont deux étaient blessés qu’on réussit à faire prisonniers. Ayant fait sauter trois abris et deux nids de mitrailleuses le Stosstruppe put regagner nos lignes emmenant les trois prisonniers et quatre propres blessés. Le reste de la nuit passait bien tranquillement. Mais je crois que la nuit suivante ne sera pas comme la précédente. Il se peut bien que le Russe fera une contre-attaque et il sera tout indiqué de redoubler de vigilance.

Vous voyez qu’au front, même pendant les périodes d’accalmie, le front ne connaît pas de trêve, que les combats ne cessent jamais. Quand aurons-nous la paix si ardemment désirée par tant de millions ? Combien de familles déplorent déjà la mort de l’époux, du père, du frère ou du fils ? En chrétiens nous songeons aux détresses de toutes les nations, nous ne pouvons fermer les yeux devant les souffrances de nos frères. Si tant de sacrifices pouvaient acheter à l’humanité un avenir plus tranquille et plus heureux. Les ombres s’allongent déjà sur la vaste plaine toute couverte de neige et bientôt les étoiles vont étinceler sur cette morne campagne d’hiver. Ce soir je vais me coucher le plus tôt possible car je me sens bien fatigué. Cela vient du peu de sommeil que j’ai eu cette nuit. Je me réjouis déjà à la pensée de recevoir, peut-être ce soir, la lettre que vous m’avez promise. Votre dernière lettre qui date du 2 février m’est parvenue il y a une semaine. Vous aurez bientôt la réponse.

En attendant, recevez les meilleures salutations de votre Jean.